Décembre 2005: Interview sur les Saintes dans France-Antilles


François Beauducel, Directeur de l'Observatoire Volcanologique du Globe : « plus la faille est longue, plus elle peut générer un fort séisme. »

Article publié dans le quotidien France-Antilles le 27 décembre 2005. Les propos ont été reccueillis par Florian Bizouk et reproduits avec son aimable autorisation.



Les répliques peuvent durer plus d'une année

Jeudi dernier, plus d'un an après le séisme du 21 novembre, un septième essaim de répliques a affecté les Saintes. L'un de ces séismes a été largement ressenti dans le sud Basse-Terre, à 15h09. Il était de magnitude 4.2.

Ces mouvements du sol inquiètent une bonne part de la population. François Beauducel explique la sismicité locale et ce à quoi l'on peut s'attendre.

Un système de failles comme celui des Saintes, donne t-il des signes avant-coureurs ? Y en a t-il en Guadeloupe qui présentent un plus grand risque que celui des Saintes ?

Malheureusement, on a l’habitude de le dire, les séismes ne sont pas prédictibles justement parce que, contrairement au volcan, ils ne donnent pas systématiquement de signes précurseurs. Il y a cependant deux grandes pistes de recherche : soit le niveau de contraintes dans le sol (les forces accumulées dans les roches au cours des années), soit la « microsismicité » (tous petits séismes à peine mesurables par nos instruments). Ces deux techniques nécessitent l’installation de nombreux instruments très sensibles. En Guadeloupe il y a une difficulté supplémentaire qui est que les zones intéressantes à étudier sont toutes au fond de la mer. Les études coûtent très chers et nous n’avons pas encore eu les moyens de les mener correctement aux Antilles. En revanche un programme européen est en cours en Grèce, et qui apporte déjà des résultats potentiellement très intéressants.

Il y a des dizaines de failles autour de la Guadeloupe, et certaines sont beaucoup plus grandes que celle des Saintes (la faille du Gosier, la faille de Marie-Galante, etc…). Plus la faille est longue, plus elle peut potentiellement générer un fort séisme.

Un spécialiste a dit, lors d’une conférence à Basse-Terre, que « là ou il y a eut séisme de force 8, il y aura encore le même séisme. » Les archives concernant les séismes majeurs vous permettent-elles de situer approximativement les périodes de retour de quelques séismes majeurs, sachant que des spécialistes de la Métropole prévoient un « big one » avant vingt-cinq ans ?

C’est vrai sur toutes les failles actives et les zones de subduction, qui trouvent leur énergie dans le mouvement des plaques tectoniques. La magnitude étant directement liée à la taille de la faille, un fort séisme passé nous donne une indication assez précise sur la longueur de la faille (pour un magnitude 8, environ 200 km). On sait donc que cette faille a la capacité de faire un tel séisme.

Concernant les archives, malheureusement elles ne remontent pas assez loin dans le temps aux Antilles. Le séisme de 1843 est le seul de cette magnitude dans toute l’histoire, il est donc impossible de calculer des périodes de retour comme on le fait en Europe. En revanche, on peut faire le calcul simple suivant : un séisme de magnitude 8 est généré par un glissement d’environ 5 m sur la subduction. Pour cela il faut que cette distance ait été accumulée par les forces de la tectonique. Comme la plaque Atlantique avance de 2 cm par an sous la plaque Caraïbe, il faut en moyenne 250 ans pour « recharger » l’énergie nécessaire à un magnitude 8. Mais attention, ce chiffre représente une moyenne et malheureusement la Nature a l’habitude d’être irrégulière : il est donc tout aussi probable d’avoir deux magnitudes 8 séparées de 125 ans (2 fois moins que la moyenne) que de 500 ans (2 fois plus).

Les anciens disent souvent que la terre tremble quand il pleut abondamment. La science se penche t-elle déjà sur ce genre de constats ?

Oui mais sans résultats probants pour l’instant. L’idée est que lors de grosses pluies, les zones superficielles de la croûte terrestre deviennent saturées en eau, à la manière d’une éponge. Or si la roche était déjà sous contrainte et prête à lâcher, cet apport d’eau peut aider le séisme à se déclencher. C’est exactement le même phénomène qui déclenche des glissements de terrain lors de fortes pluies, sauf que dans ce cas c’est la force d’attraction terrestre qui joue (la pesanteur) et non les forces tectoniques. Cependant, cette explication n’est justement pas valable pour le séisme des Saintes, puisque la faille est entièrement sous-marine !

Beaucoup d’habitants ont constaté des comportements inhabituels de leurs animaux domestiques, peu avant le séisme du 21 novembre 2004. En avez-vous déjà entendu parler et il y a-t-il des recherches en ce sens ?

A priori le comportement des animaux est lié à la microsismicité dont nous parlions plus haut, ou encore aux infrasons (les fréquences sonores très basses que l’oreille humaine ne peut percevoir) qui se produisent lors de l’arrivée des premières ondes sismiques dans le sol. Ce sont ces ondes qui sont responsables du grondement ou des bruits de détonations quelques secondes avant de ressentir vraiment le séisme. Pour le 21 novembre 2004, il y a eu aussi un petit précurseur de magnitude 3.1, environ deux minutes avant le gros séisme de 6.3 à 7h41. Aujourd’hui les Saintois ressentiraient presque tous ce petit séisme ; il faut croire que le 21 novembre à 7h39, personne n’y a prêté attention, à part quelques animaux !

Beaucoup de gens ne croient pas que de simples répliques peuvent durer plus d’une année...

C’est leur première expérience de séisme de ce type (le précédent était plus faible, de magnitude entre 5.5 et 6, et s’est produit près de Pointe-à-Pitre le 29 avril 1897). Il y a des exemples plus récents aux Antilles (16 mars 1985 au nord de Montserrat) ou évidemment ailleurs dans le monde (Italie, Grèce, Japon, …) pour lesquels les répliques ont duré bien plus d’une année.

Certains disent que les divers séismes qui sont ressentis sur la planète sont un gage de tranquillité pour notre zone, du fait de la libération de l’énergie ; qu’en est-il en réalité ?

Malheureusement pour eux ce n’est pas vrai. L’énergie qui se libère sous forme de séismes dans notre zone est liée aux deux plaques tectoniques qui nous concernent : Atlantique et Caraïbe. La croûte terrestre est sous tension, et les séismes à l’autre bout du monde n’y changeront rien.

Les saintois peuvent-ils être tranquilles pour longtemps ?

Cette question est à double tranchant : (1) oui, la faille (le système de failles) des Saintes mettra probablement plusieurs centaines d’années à se « recharger » en énergie, et ne refera donc pas de séisme de magnitude 6 avant longtemps, mais ceci à condition d’avoir bien repéré toutes les failles existantes, et qu’il n’y ait pas d’effet de propagation de la faille vers le nord ou le sud. (2) non, les Saintois sont aussi concernés que les autres guadeloupéens par les autres failles et bien sûr par la subduction. Les simulations permettent de dire qu’un séisme comme celui du 8 février 1843 engendrerait aux Saintes des accélérations du sol équivalentes à celles du 21 novembre 2004, mais elles dureraient beaucoup plus longtemps, et donc feraient probablement plus de dégâts.

Pouvez-vous tout dire à la population ?

Oui, du moment qu’on nous laisse le temps de s’exprimer complètement, de détailler les problèmes qui ne sont parfois pas très simples en Sciences, et de dialoguer avec la population qui a des questions toujours légitimes, mais parfois aussi des préjugés.


Les images du 21 novembre 2004 ont profondément marqué les Saintois, qui vivent, depuis, au rythme des répliques.