Novembre 2005: Interview sur la Soufrière dans France-Antilles


Soufrière : trente ans d'accalmie.
Sous surveillance renforcée depuis le séisme des Saintes, la Soufrière joue les belles endormies depuis l'éruption de 1976.

Article publié dans le quotidien France-Antilles le 23 novembre 2005. Les propos ont été reccueillis par Florian Bizouk et reproduits avec son aimable autorisation.



Une éruption comme en 1976 ne conduirait qu'à une évacuation partielle

L'année 2006 marquera le trentième anniversaire de l'éruption de la Soufrière. François Beauducel, physicien et directeur de l'observatoire volcanologique et sismologique de la Guadeloupe, situé à Gourbeyre, fait le point sur l'activité volcanique.

L’augmentation lente mais certaine de plusieurs paramètres relatifs à la Soufrière nous conduira-t-elle inexorablement vers une éruption (magmatique ou phréatique), dans les mois ou années à venir ?

Il est clair qu'un volcan actif comme la Soufrière ira inexorablement vers une éruption, c'est sa finalité. cependant les éruptions "avortées" existent bien qu'elles soient assez rares. La vraie question est de savoir quand se produira l'éruption, et pour cela il faut considérer les deux scénarios :

1. même si la dernière éruption magmatique remonte à plus de 500 ans, ce type d'éruption n'est clairement pas au programme actuellement car il n'y en a aucun signe avant-coureur (certains gaz magmatiques, températures élevées, séismes profonds, déformations du sol, etc...). Ces signes, s'ils apparaissaient dans les mois qui viennent par exemple, seraient annonciateurs d'une éruption à une échéance de plusieurs années (comme ce fut le cas à Montserrat par exemple).

2. l'éruption phréatique est en revanche plus probable. Les paramètres observés actuellement témoignent d'un système hydrothermal très actif qui pourrait conduire à une activité phréatique en surface. Mais avant d'observer les signes précurseurs plus conséquents, qui nous verraient inciter la Préfecture à passer de "vigilance" à "pré-alerte", il est pour l'instant très difficile d'estimer un délais. Il est possible que l'état actuel persiste encore de nombreuses années, comme il est possible que les choses se précipitent en quelques mois seulement. Lors de l'éruption de 1976-1977, les signes précurseurs importants ont été notés dès novembre 1975, soit 8 mois avant la première explosion du 8 juillet 1976.

C'est bien le rôle de l'observatoire, dont les instruments fonctionnent 24h/24, de surveiller cet état et donner l'alerte le plus tôt possible.

Pourrez-vous savoir, en cas d’éruption phréatique, comme en 1976, s’il sera nécessaire d’évacuer les communes environnantes au moment opportun ?

Notre connaissance de la Soufrière et de ses types d'éruptions passées a énormément évolué depuis 1976, grâce à de nombreuses études effectuées par l'Institut de Physique du Globe de Paris. Actuellement, on considère que l'évacuation ne serait que la solution ultime en cas d'éruption magmatique importante (comme celle de Montserrat). Une éruption phréatique comme 1976, a priori, ne conduirait pas à une évacuation, sauf peut-être partielle dans les zones subissant de trop importantes retombées de cendres volcaniques. Ces cendres peuvent en effet poser différents problèmes interdisant l'habitat dans les zones concernées : pollution des sols, destruction des cultures, pollution de l'eau des nappes phréatiques et rivières, problèmes respiratoires...

La rumeur fait parfois état d’un volcan sous-marin au large de Capesterre Belle-Eau. Qu’en est-il réellement ?

A notre connaissance il n'y a pas de volcan dans cette zone. Les anciens volcans sous-marins sont tous alignés sur une bande étroite entre les îles de Montserrat, l'ouest de la Cote sous le vent, et la Dominique en passant par les Saintes. Ce sont tous des volcans éteints, c'est-à-dire inactif depuis plusieurs millions d'années.

Un système de failles réactivées comme aux Saintes, peut-il agir sur le volcan de la Soufrière ? Si oui, comment ?

Oui. Lors d'un séisme comme celui des Saintes, se produisent des vibrations et de petites déformations du sol dans un rayon de plusieurs kilomètres autour de la faille. Cela peut pertuber un système volcanique sous pression (un volcan qui doit être non seulement actif, mais aussi dans une phase avancée pré-éruptive). C'est pourquoi lors du séisme des Saintes, nous avons immédiatement renforcé la surveillance de la Soufrière, car une modification de son activité était tout à fait probable vu son état actuel de vigilance. Il n'en a rien été jusqu'à maintenant, un an plus tard, mais on peut parfaitement imaginer que ces effets se fassent ressentir à plus long terme. Là encore, on comprend que la surveillance instrumentale effectuée par l'observatoire est indispensable.

La Soufrière Hills (Montserrat) et la Soufrière de Guadeloupe, sont-elles liées ? Si non, la Soufrière de Guadeloupe est-elle liée à un autre système volcanique ?

Il n'y a pas de liens directs entre les différents systèmes volcaniques de l'Arc des Petites Antilles. Ceux-ci sont trop éloignés pour qu'il y ait une connexion entre les chambres et les conduits magmatiques. Le lien provient uniquement de leur origine commune : la subduction des plaques tectoniques, responsable de la création du magma à 150 km de profondeur sous chacun des volcans. C'est pourquoi les volcans ont le même type de lave (très visqueuse) et le même type de comportement (plutôt explosif).

Les « inclinomètres » installés ça et là dans tout l’archipel, parlent-ils déjà ?

Non. Il n'y a pour l'instant pas de déformation du sol détecté ni à l'échelle de l'archipel, ni à l'échelle de la Soufrière. En plus des inclinomètres, nous utilisons aussi des stations GPS très précises, des miroirs visés par un laser, des extensomètres mesurant l'écartement des fractures. Mise à part quelques millimètres par an détectés sur le dôme de la Soufrière, sur certaines des grandes fractures, il n'y a actuellement pas de déformations significatives.


François Beauducel, Directeur de l'observatoire volcanologique et sismologique de la Guadeloupe